20 novembre 2016

The China Experience – 43/ The Yangshuo Experience (Pt. 3)

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002

Expérience précédente : The Yangshuo Experience (Pt. 2).
Décollage ici.


18 novembre 2002 – 24 novembre 2002 : The Yangshuo Experience, Yuangshuo (Guangxi)

Cinquième jour. Au matin, je n'y tiens plus. Je téléphone à ma princesse. Je dois savoir de quoi il retourne. Elle décroche et me réponds d'une voix glaciale, très mal à l'aise. Cette froideur, Seigneur ! Il y a des filles qui, lorsqu'elles vous annoncent qu'elles vous quittent, essaient au moins d'être bienveillantes, de prendre des gants pour vous blesser le moins possible. Qui vous signifient au moins que vous avez compté et qu'elles se font quand même un peu de souci pour vous. Là, rien. Elle est brièvement estomaquée lorsque je lui parle du rêve parce que oui, elle m'a bel et bien quitté pour un autre. Je ne suis donc pas fou à lier. Elle se reprend vite, m'assène qu'elle n'est absolument plus amoureuse de moi et très amoureuse de l'autre, qu'elle l'a en effet rencontré très récemment, que sa décision est définitive et irréversible, que je dois l'accepter et que ça n'est pas si grave en fait. Sa voix est cassante, limite méprisante ! Je crois halluciner, ou peut-être parler à une autre femme. Mais non, c'est bien elle. Je ne sais plus trop ce que je lui dis, ce qu'elle me dit, mais nous parlons une heure durant (ce qui entame dangereusement mes dernières économies). Je sais simplement qu'à un moment je lui dis d'un ton très assuré : « Non. Tu ne peux pas faire ça. Tu es en plein délire parce que c'est moi que tu aimes. Je vais rentrer, nous allons discuter et tu vas le quitter. Je suis l'homme de ta vie, tu es la femme de ma vie, tu m'aimes encore, et nous n'avons pas le choix ». Ce n'est pas l'ordre d'un homme possessif : c'est un constat que je fais de l'avenir, une évidence. Elle m'affirme que je suis en plein délire et comme j'insiste, elle campe d'autant plus fermement sur ses positions. Pourtant, je décèle un tremblement dans sa voix. Elle n'est peut-être pas si indifférente qu'elle veut me le laisser croire. Elle se protège. Peut-être. Et elle ose me dire qu'elle est désolée. Ils sont tous désolés, tout le temps. Si elle était vraiment désolée, elle aurait pris sur elle et elle ne l'aurait pas fait.

Résultat des courses : je suis complètement dévasté pour le reste de la journée. Il ne reste rien de la détermination à la récupérer dont j'ai fait preuve au téléphone. Je l'ai perdue, elle m'a filé entre les doigts, définitivement. La douleur se fait implacable. Mon esprit retourne le problème dans tous les sens, je me torture des heures durant. Je voudrais ne pas savoir. Je voudrais que cela ne soit pas. Je voudrais crever. N'importe quoi pourvu que la douleur cesse. Je rêve de m'exiler à jamais dans le désert du Thar, ou du moins de tout plaquer et de vivre à Lijiang. Le flûtiste fou continue de me persécuter. S'il me restait davantage d'argent, je donnerais cent yuans à ce fils de pute pour qu'il aille jouer ailleurs !

Je commence à picoler scandaleusement tôt. J'atterris encore au Happy Star Café. Fou de dépit, prêt à sombrer dans les pires excès et déjà passablement ivre, je branche ouvertement Sunny. Elle me remet gentiment à ma place et je me sens minable de m'être rabaissé au niveau de ces innombrables Occidentaux qui viennent ici sauter de la Chinoise naïve et impressionnable. Un groupe d'une dizaine de touristes débarque, m'absorbe tout naturellement en son sein. Il y a parmi eux une ambiance bizarre. Ce sont pour la plupart des trentenaires. Il y a un Black dont j'ai oublié le nom et un Américain nommé Scott, qui sont vraiment cool. Je leur explique mon drame, ils tentent comme ils peuvent de me remonter le moral. Scott me répète, et va même jusqu'à écrire sur mon cahier : « DO NOT WORRY ABOUT WHAT YOU CAN NOT CONTROL! ». Il a raison : il n'y a rien à faire, en tout cas pas avant d'être en France, alors je devrais me détendre, mais j'en suis franchement incapable ! Je leur expose longuement ma théorie sur les Tabukis, mon sentiment d'être seul au monde, de chercher désespérément mes semblables. Toute cette histoire de Tabukis pourrait prêter à rire, mais ils prennent mes propos très au sérieux. Ils savent qu'ils ont affaire à un homme au bord du gouffre, et se montrent plein de compassion à mon égard.

La plupart des autres membres du groupe sont glauques. Sans raison apparente hormis le fait que la bière coule à flots et que nous sommes tous ivres morts, deux d'entre eux me prennent en grippe. D'abord une jeune Chinoise, qui sort avec un des mecs. Elle décrète que je la trouve irrésistible et ne cesse de venir vers moi en me disant « Je sais que tu veux me baiser, mais je ne t'aime pas ! Je ne coucherai pas avec toi, je ne coucherai jamais avec toi ! ». Elle me répète ça inlassablement comme si je lui avais fait la moindre avance, ce qui n'est pas le cas. Elle est assez jolie à vrai dire, mais il se dégage d'elle quelque chose de tellement morbide qu'il ne me serait vraiment pas venu à l'idée de coucher avec elle, quand bien même elle m'y eut invité ! Bêtement, je rentre dans son jeu, je lui répète à mon tour qu'elle ne me plaît pas, que même si elle me suppliait à genoux je ne coucherais pas avec elle. Elle insiste « Si : tu coucherais avec moi. Je n'aurais qu'un mot à dire. Mais je ne le ferai jamais, jamais ! ». Je m'efforce de prendre cette joute verbale comme un jeu mais rien n'y fait et le ton monte. Le Black me pose la main sur l'épaule et me dit avec une sincère gentillesse : « Tu sais, elle est un peu conne ce soir, mais c'est notre amie, alors tu devrais arrêter de rentrer dans son jeu. Parce que si ça continue on va être obligés de prendre parti, et on sera obligé de prendre parti pour elle, donc de te demander de partir. » Ce n'est pas une menace, juste un constat bienveillant. Je suis sec, mais assez lucide pour comprendre. Je ne réagis plus aux provocations de la fille et elle passe rapidement à autre chose. Après cela c'est au tour d'un type d'une cinquantaine d'année de s'en prendre à moi : une espèce de vieux poivrot, probablement prof d'anglais comme tout le monde à cette table. Il est vrai que je n'ai guère payé que quelques bières au départ, mais j'ai expliqué à Scott et au Black qu'il me restait juste de quoi survivre jusqu'à l'avion et tout le monde était content. Alors qu'il ne m'a pas dit un mot de la soirée, le vieux m'invective d'un coup. Il m'accuse de boire leurs bières sans rien apporter à la soirée en contrepartie, de profiter. Là, je sors de mes gonds, et le lui crie dessus de ne pas me faire la morale. Le vieux, voyant qu'il a dépassé les bornes, n'insiste pas. Là-dessus, Scott me dis gentiment : « Tu n'es pas Tabuki. Tu viens de hurler sur quelqu'un. » Comme je reste stupéfait, il continue : « je ne t'accuse de rien. Je sais que tu essaies d'être Tabuki, que tu y travailles dur et c'est tout à ton honneur. Mais tu n'es pas encore Tabuki, parce qu'un Tabuki n'aurait pas crié sur ce type, peu importe la provocation ». Je ne peux que m'incliner, lui dire qu'il a raison et le remercier de me l'avoir fait remarquer. J'ai beau avoir atteint les bas-fonds du pathétique, je suis encore capable de faire preuve d'honnêteté intellectuelle. Peu après, le bar ferme et tout le monde s'en va. Scott me fourre un billet de cent yuan dans les mains (environ quinze euros). Comme je proteste il me dit : « Écoute, tu n'as presque plus d'argent et tu t'es ruiné pour téléphoner à ta copine, alors prends ça. Moi je gagne bien ma vie avec mon boulot de prof, j'en n'ai pas besoin de ces cent yuans. Toi tu en auras peut-être besoin alors prends-les sans discuter. » Face à tant d'autorité, je m'incline et dis adieu à Scott le sage. Ses cent yuans me seront utiles, comme nous le verrons.

Je me réfugie dans une ruelle isolée. À l'abri des regards, je reste longtemps là à pleurer. J'atterris dans mon lit à six heures du matin et mets longtemps à m'endormir. C'est insupportable d'être dans ce dortoir sombre, entouré de dormeurs, sans pouvoir ni lire ni écrire ni rien faire d'autre qu'attendre le sommeil. Lorsque je parviens enfin à sombrer dans les bras de Morphée, certains déjà se lèvent. Je dors une heure, peut-être deux.

Sixième et dernier jour. Mon réveil est épouvantable et la journée qui suit tout autant. Je traîne ma nausée et ma douleur, j’erre en ville comme un damné. Je n'ai jamais eu aussi mal. Je suis une plaie béante. Je n'imaginais pas, à vrai dire, qu'il fut possible de souffrir à ce point. La rouquine, la jeune fille aux yeux de miel : tout ça était de la pacotille en comparaison.

En parlant de la jeune fille aux yeux de miel, je note qu'à chaque fois que je pars en voyage il faut qu'une meuf vienne me casser mon plane au moment où tout va bien !

Je téléphone à Iris. Je lui dis que je ne vais pas très bien et que je lui expliquerai, lui demande si je peux débarquer le lendemain. Dieu soit loué, elle s'en réjouit et me dis que je suis le bienvenu.

Je me demande que faire des cent yuans de Scott et conçois l'idée d'acheter quelque chose à ma princesse. Un cadeau d'adieu. Un cadeau de reconquête peut-être. Je flashe sur deux petites statuettes : un dragon et un phénix, en pierre blanche. La vendeuse m'explique que l'union de ces deux créatures mythiques symbolise celle de l'homme et de la femme dans ce qu'elle a de plus pur. Ça tombe bien ! J'offrirai les deux à ma princesse.

Je vais aussi dire au revoir à Sunny, et surtout m'excuser d'avoir été lourd la veille. Elle me dit que ce n'est pas grave et me donne son email, mais elle ne répondra jamais au message que je lui enverrai plus tard.

En milieu de soirée, un bus m'arrache à Yangshuo. Je ne me sens pas un poil mieux, mais je suis soulagé de quitter cet endroit où j'ai traversé l'enfer.

Le trajet dure toute la nuit et malgré ma couchette, je ne parviens pas à fermer l'œil. Je m'occupe en écoutant les cassettes de Da Boostemp, que je connais par cœur. Les douze heures de voyage sont un véritable enfer. Je suis en plein délire : j'ai des sortes de flashes relatifs à ma princesse indienne. Des images de vies antérieures. Des images de nous deux autrefois. Des images de l'avenir, de nous deux dans l'avenir. Je ne sais si je suis en train de de devenir medium ou fou. Je commence, toutefois, à entrevoir une lueur d'espoir. Et cette lueur d'espoir, c'est mon intelligence. Je me mets alors, pas à pas, à élaborer un plan.

Ah oui, j'oubliais ! Ce trou du cul, avec lequel mon Indienne s'est tirée. Je l'apprendrai à mon retour : c'est un musicien. Un flûtiste !


Prochaine expérience : The Longest Way Home Experience.

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